Écrire trop tard

Vincent Debiais
Billet, 19 septembre 2022

 

 

Tout le monde sait désormais ce qu’est une “pierre de la faim” – il y a même un article Wikipedia sur le phénomène – mais rappelons tout de même qu’on désigne par là un monument placé dans le lit d’un cours d’eau pour signaler visuellement une cote particulièrement basse, digne de mémoire. Cette intervention humaine sur le paysage ne passe pas par la construction – on ne bâtit pas une “pierre de la faim” – mais par la modification d’éléments naturels, ou bien par l’érection d’une pierre déjà dans le lit, ou bien par le signalement épigraphique d’une pierre en place ou rapportée à cette occasion, ou encore par la mise en place d’une pierre “autre” déplacée à cet effet. Dans tous les cas, et avant même d’envisager la question épigraphique, il s’agit de marquer un lieu donné en le distinguant par la mise en place d’un élément naturel modifié (érigé, déplacé, inscrit). Les “pierres de la faim” sont ou deviennent des fragments de paysage qui signalent une relation particulière de l’homme à son milieu. Elles sont commémoratives et documentent un événement passé en même qu’elles sont le signal d’un événement présent, avec cette double articulation propre à la notion d’actualité. Les anthropologues auraient eu sans doute bien des choses à dire sur cette question du signal, de sa construction sociale – comment penser la fixité de la pierre dans la mouvance du lit d’un cours d’eau ? Comment la pierre érigée dans le lit d’un cours d’eau rejoint-elle les autres marques de la mise en territoire de l’espace par l’identification d’arbres-carrefour, de sommets-boussole, de chemins-frontière ? La pierre a-t-elle à voir avec ces troncs d’arbre et autres pierres levées marquant sur les pentes des montagnes la limite de la neige à une date déterminée ?

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